Comme un papillon irrésistiblement attiré par la lumière – et le feu mortel – d’une lampe ! Pourquoi l’homme – lisez l’homo sapiens, quel que soit son genre – court-il si follement vers sa destruction, vers celle de la planète ? C’est en tout cas l’impression que l’on a.
La course aux nouvelles technologies est comme un souffle supplémentaire attisant les braises. Des exemples ? Ils sont légion. En particulier ces dernières décennies, ces dernières années. Oui, tout ce qui est intelligence artificielle, blockchain, agents conversationnels, ou même le “métavers”, pour ne citer que ces exemples, ont leurs mérites, des arguments tangibles voire convaincants à faire valoir. Mais ils ont également dans leur besace un revers de médaille, des faces sombres, des embûches traîtresses qui passent bien trop souvent méconnus, ignorés, par la grande majorité de ceux et celles auxquel(le)s ils se destinent.
Voyez les conséquences énergétiques, environnementales (passons sous silence ici les impacts comportementaux et sociaux) de technologies telles que l’intelligence conversationnelle et la blockchain. L’Intelligence Artificielle suppose des sommes parfois difficilement imaginables de puissance de calcul. Va-t-on les solliciter, désormais, pour produire le moindre texte, courriel, bloc de code, contenu ? Par facilité, par souci de “performances” ?
Comparativement, l’envoi multiple, répété, de mails – pourtant tellement décrié et pointé du doigt il n’y a pas si longtemps que cela -, le bombardement d’e-mails, n’était sans doute de la gnognote.
Et la blockchain ? Oui, certaines variantes de mécanismes blockchain – preuve d’enjeu et non preuve de travail, pour ceux qui s’y connaissent un tantinet en la matière – sont sensiblement moins énergivores que celle qui sous-tend le bitcoin. Ce qui leur permet de nous promettre davantage de frugalité et, dès lors, de justifier un regard bienveillant sur l’intérêt qu’il y a ou aurait à recourir à ce genre de technologie pour des applications diverses et variées.
Mais – grand mais, avec si possible une majuscule… – se pose-t-on la question de l’utilité ?
Cette question fut posée, mais malheureusement quasi de manière anecdotique, lors d’une table ronde organisée récemment par HEC Liège sur le thème de l’impact environnemental et sociétal de la blockchain. Un sujet qui ne pouvait que susciter le débat et la confrontation de points de vue, parfois assez divergents, entre les différents intervenants. A savoir, un consultant spécialisé en blockchain, un professeur d’informatique, un défenseur du numérique responsable, un avocat en droit des affaires.
Après un échange de chiffres et d’explications tentant de démontrer que toutes les technologies et tous les mécanismes structurels des blockchains ne se valent pas et ne doivent pas être voués en bloc (excusez l’expression) aux gémonies, la question fut donc posée de l’utilité, du caractère justifiable du recours à ces solutions, en particulier comme socle des transactions financières, via cryptomonnaies interposées, pourtant encore majoritairement très énergivores (voir quelques chiffres en fin d’article).
Selon le profil des intervenants, les réponses furent plutôt contrastées. Les uns évoquant une utilité, en mode somme toute “quoi qu’il en coûte”, dans des pays où la valeur de l’argent traditionnel a tendance à s’évaporer rapidement, ou encore pour défendre les vertus d’un système se passant d’intermédiaires qui ont la fâcheuse habitude de prélever leur part du gâteau au passage.
Même si tous, plus ou moins expressément, reconnaissaient le bien-fondé d’un critère d’utilité démontrée et de nécessité d’“usage probant”, il ne s’est trouvé qu’une seule voix pour insister sur le fait qu’“une fonctionnalité [lisez: une innovation, un progrès technologique…] n’est justifiée que si l’on peut prouver qu’elle apporte un avantage par rapport à l’existant.” Cette voix, c’était celle d’Olivier Vergeynst, directeur de l’ISIT, l’institut belge du numérique responsable. Qui s’expliquait ainsi: “En matière de transactions financières, d’autres solutions décentralisées [que les cryptomonnaies] ne sont-elles pas également possible [sous-entendu évitant la surcharge énergétique] et ne sont-elles pas également nettement moins chères? Quelle est dès lors l’utilité sociale de décentraliser, de se cacher [derrière le principe d’anonymat qui est l’une des marques de fabrique des cryptomonnaies] et de ne pas pouvoir réguler ?”
Et de rappeler que la prise en compte des enjeux environnementaux dans les scénarios applicatifs de la blockchain est trop négligée. Comme c’est pratiquement le cas pour toute innovation technologique.
Voyez ce qu’il en est avec l’Internet, soulignait-il. “On commence seulement à s’interroger sur l’impact environnemental et social. Son développement et tout ce qu’il a permis – et qu’on n’aurait pas pu imaginer au départ – ont été source de nombreux problèmes. Mon espoir est que ces critères d’impact environnemental et social fassent à l’avenir partie des réflexions – notamment en matière d’intelligence artificielle – beaucoup plus tôt afin d’éviter les dérives qu’on a connues…”
Le fait est que, comme le soulignait récemment de son côté le professeur Nicolas Van Zeebroeck de la Solvay Brussels School of Economics and Management (ULB), ces innovations technologiques – et le déboulement de ChatGPT en est le dernier exemple éloquent – nous tombent dessus sans que nous y soyons préparés. Le “nous” faisant référence à la fois au simple citoyen, béotien, à la société dans son ensemble, parfois même aux “experts”, à la sphère politique, législative mais aussi juridique. Des innovations, des “progrès” qui sont néanmoins goulument adoptés. Avec tous les risques que cela implique – professionnellement, socialement, éthiquement, sécuritairement, juridiquement, environnementalement…
A quand dès lors des lanceurs d’alerte, a priori “éclairés” et avançant des arguments pourtant étayés, qui soient entendus et non tournés en dérision, qui ne soient pas, quasi systématiquement, considérés comme des empêcheurs de tourner en rond, comme des oiseaux de mauvais augure (un augure qui, d’ailleurs, se manifeste de lui-même, sans qu’on ait trop besoin de l’attiser), comme des adversaires irraisonnés et déraisonnables du “progrès” ?
A quand un consommateur / usager / citoyen qui soit en mesure de faire des choix éclairés, responsables ?
De plus en plus – et la course folle aux nouvelles technologies y contribue (sans qu’il soit bien entendu honnête de leur attribuer tous les maux) -, l’impression, la conviction intime, se précise que nous vivons à l’heure de la Terre-gruyère, Terre-martyre, Terre sacrificielle. Et d’un homo destructis, homo suicidis.
A quand une technologie réfléchie, retrouvant le vrai sens de progrès porteurs d’avenir viable, pour notre quotidien, pour les générations présentes et futures ?
Deux chiffres pour la route…
En 2021, le réseau planétaire du bitcoin a consommé autant d’électricité que la Suède (134 térawatts/heure), soit un peu plus également que ce qu’ingurgite annuellement la Belgique dans son ensemble.
Ce qui équivaut grosso modo à la capacité de production de 15 réacteurs nucléaires.